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Le grand Livre
239 pages • Dernière publication le 29/07/2022

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HISTORIQUE & ARCHIVES / Mémoire des théâtres (En tant qu'établissements publics) / Page 70 • Publiée le 19/11/2018

Les Corrales de Comedias

A Almagro, petite bourgade du sud de la province de Castille, la Mancha, chère à Cervantes, située à peu près à mi-chemin entre Madrid et l’Andalousie, se trouve l’unique théâtre du Siècle d’Or espagnol, conservé en l’état - et même encore opérationnel lors d’un festival annuel consacré naturellement au répertoire classique.
Ces établissements étaient dénommés « corrales de comedias ».

Le corral de comedias d’Almagro (1627)
Le corral de comedias d’Almagro (1627) 

Il faut savoir que le terme « comedias » désignait tout ce qui n’était pas religieux.
Ainsi étaient considérées comme « comedias » les tragédies, les drames et bien sûr les comédies.

« Corrales » parce que cours ou plutôt enclos.

Avant 1550 il n’existait en Espagne aucun bâtiment consacré au théâtre. Les spectacles se donnaient dans et devant les églises ou les abbayes pour les « autos sacramentales », ou bien sur les places de marché pour ce qui concerne les farces, les ours, et les spectacles de foire.
Mais le théâtre était bien vivant. Les foules se pressaient toujours plus nombreuses, pour assister à la représentation de ce monde en train de naître : la Renaissance.
Et les auteurs étaient là pour alimenter cet insatiable besoin : Cervantes, Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderon de la Barca

Le théâtre investit les lieux publics, et particulièrement, pour des raisons techniques et essentiellement acoustiques, les cours (patios) souvent présentes au milieu des pâtés d’immeubles. On choisit naturellement celles qui sont déjà aménagées, c'est-à-dire les cours de tavernes ou d’auberges.
Il suffit d’installer, contre la façade du fond, une petite estrade sommaire en bois, quelques bancs et le tour est joué.
On apportera ensuite quelques aménagements comme un grand velum translucide que l’on tendra au-dessus de la cour protégeant les spectateurs du soleil et égalisant la lumière.
Car les représentations se tenaient en plein jour, pour des raisons de sécurité (incendies) et d’ordre civil.

Une représentation au Corral de Comedias d’Almagro
Une représentation au Corral de Comedias d’Almagro 

L’ordre civil imposera d’ailleurs des règles strictes : présence obligatoire d’un alguazil, chargé de veiller notamment à la bonne séparation des hommes et des femmes non seulement pendant les représentations mais également lors des entrées et des sorties, celles-ci devant se faire obligatoirement pour les femmes par des portes séparées.
Un espace de bancs, dans les premiers rangs, était réservé aux femmes et aux enfants.
Les hommes (mosqueteros) se tenaient debout au fond, ils pouvaient ainsi boire, huer, fumer… ou parler d’autre chose….
Au fond de la salle se dressait une buvette (alojeria) où l’on vendait une boisson à base de miel et d’épices (la aloja).
Au-dessus de cette buvette on pouvait trouver la cazuela, une sorte de loge, également réservée aux femmes, avec une entrée particulière.

 
Sur les côtés, outre les fenêtres des maisons attenantes à la cour, on pouvait voir des galeries, couvertes (les loges ou palcos), où se tenaient les nobles et les grands bourgeois…
Ajoutons que le clergé (qui assistait aux représentations) bénéficiait d’une galerie spéciale au-dessus des loges : la tertulia.
Le public était donc cloisonné, selon son sexe, sa classe sociale, ou sa fonction.

 
Les acteurs et les actrices, eux, sont protégés du soleil par un petit toit en fond de scène.
Si il pleut, on annule carrément la représentation, le grand velum ne pouvant protéger du ruissellement et surtout faisant chambre d’écho rendant tout inaudible.

La scène est relativement peu profonde, il n’y a pas d’entrées commodes sur les côtés.
On peut utiliser les fenêtres au-dessus de la scène pour figurer l’intérieur des maisons ou les réserver à des personnages hors du commun comme les anges ou les démons.

On le voit le spectacle se présente un peu comme un aplat, comme une carte postale sans relief, comme une image large mais sans profondeur.

C’est le monde tel qu’on peut le voir, tel qu’on peut l’enseigner mas non tel qu’il est.

C’est la réalité permise, celle qu’on peut livrer avec le prisme des codes sociaux, religieux ou autres…

On pourra trouver quelques ressemblances avec le théâtre élisabéthain, certainement du côté des thèmes (le rêve, le grand théâtre du monde…), mais on verra vite les différences.

Alors que le théâtre du Globe shakespearien est tout en rondeurs, voulant dans sa sphère « englober » acteurs, spectateurs et même le monde entier, le corral de comedias est un parallélépipède, tout en angles durs.
Le spectacle et le public sont séparés. Il y a une vraie frontière, ce qui n’est pas le cas chez Shakespeare.
Les spectateurs sur leurs bancs, eux aussi sont séparés entre eux, bien cloisonnés entre hommes et femmes, nobles et manants, riches et pauvres, curés ou simples civils, et sont priés de rester ce qu’ils sont : des spectateurs.
Sous l’œil pas toujours bienveillant des alguazils, bien chargés de faire respecter les différences.
On vous montre un monde dont vous êtes les regardants, pas les participants.

Le théâtre est vraiment le reflet de la société qui l’a conçu.
  
Jean-François Prévand

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