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Le grand Livre
239 pages • Dernière publication le 29/07/2022

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HISTORIQUE & ARCHIVES / Histoire de la mise en scène / Page 54 • Publiée le 19/03/2018

Georges Pitoëff et le minimalisme

Georges Pitoëff (1884-1939), homme de théâtre complet, metteur en scène, acteur, scénographe, recherchant dans chaque œuvre la vérité, « parent pauvre » du Cartel, a marqué l’histoire du théâtre, en préconisant la sobriété et la stylisation.


Georges Pitoëff est, ce que l’on nomme un enfant de la balle, car son père est directeur de théâtre à Tbilissi en Géorgie, mais aussi metteur en scène et décorateur. A 18 ans, le jeune homme part à Moscou poursuivre des études. Mais le théâtre demeure le principal intérêt de sa vie d’étudiant. Il travaille au théâtre d’Art de Moscou auprès de Constantin Stanislavski et de Vladimir Nemirovitch-Dantchenko. Au théâtre « vrai » prôné par Stanislavski, le jeune Pitoëf préfère un « théâtre qui donne accès au royaume des rêves ». Malgré ce désaccord, il garde pour le maître un profond respect.

« Nous sommes ses enfants, souvent prodiges et rebelles, mais qui l’adorons toujours. Antoine a ses enfants en France. Nous autres sommes tous des enfants russes du géant russe Stanislavski. »

Lorsqu’il arrive pour la première fois à Paris, en 1905, il est nourri par l’avant-garde artistique russe de l’époque. Il connaît aussi les recherches de Appia et de Craig. Ce dernier l’avait baptisé « le régisseur idéal ».

« Pas de concession, mais l’art et l’art seul ».

Il y organise des soirées poétiques et littéraires, monte de courtes pièces en russe ou en français au cercle des artistes russes fondé par son père à Montparnasse. Il découvre les nouvelles formes de théâtre, le naturalisme d’Antoine et le théâtre d’art de Paul Fort. Cela le conforte dans l’idée que « le théâtre est devenu un art subtil et tout en nuance. C’est un théâtre d’intelligence. De suggestion aussi ».

Il participe à l’émergence du metteur en scène et à la reconnaissance de son statut comme artiste scénique. Il défend un « Théâtre d’art » contre « le théâtre d’argent » (terminologie de Louis Jouvet). Pour Pitoëf, le metteur en scène est un « maître absolu » de l’art scénique. « Cet artiste, autocrate absolu, en rassemblant toutes les matières premières, fera naître par l’expression de l’art scénique qui est son secret, le spectacle. »

En 1908, il retourne en Russie à St-Petersbourg, et fonde le « Théâtre Mobile ». Avec sa troupe, il tourne à travers la Russie, jusqu’en Sibérie, monte des pièces de Tchekhov, Ibsen, Molière… Enchaînant les créations, dépassé par des problèmes financiers, il doit mettre la clef sous la porte. L’argent va être un de ses soucis majeurs tout au long de sa vie. Il peut monter six à huit spectacles dans l’année. Sa priorité est la création et pour cela, il n’hésite pas à interrompre un spectacle qui fait recette. Du coup ses finances sont chroniquement problématiques.

En 1913, il repart à Paris avec son père. Il y rencontre une jeune comédienne, Ludmilla Smanov qu’il épouse le 14 juillet 1915. Ils vont former un « couple mythique ». Georges Pitoëf va pouvoir s’appuyer sur le talent, l’aura de sa femme, devenu une vedette, pour créer ses spectacles.
Ludmilla, George et Sacha Pitoëff                          Ludmilla, Georges et le petit Sacha futur adhérent du S.N.M.S. ©Bibliothèque A.R.T.

La famille part s’installer à Genève où il fonde une compagnie et continue d’explorer les auteurs. Comme Copeau, Pitoëff accorde la première place au texte, considérant qu’il y a « autant de mises en scène que de pièces ». Il définit la mise en scène comme étant « l’interprétation de la pièce. »

Son répertoire est très ouvert aux auteurs étrangers, Tchekhov, Shaw, Pirandello, Synge, Tolstoï… Pour lui le théâtre possède, comme l’édition littéraire, un fond classique, qui permet le succès, et un fond moderne, qui permet la découverte, comme avec des contemporains français tels Claudel, Anouilh, Cocteau. Ce qui l’intéresse dans les classiques, « c’est ce que l’esprit contemporain peut y puiser ». Pour lui, c’est en faisant découvrir des auteurs contemporains, de toutes nationalités, que « les hommes apprendront à se connaître ». Recherchant la poésie sur scène, Georges Pitoëff n’a pas hésité à monter des pièces en résonance avec l’actualité sociale et politique du moment, comme en 1933, avec « Les juifs » d‘Alexis Tchirikov, pièce sur les pogroms.
Georges et Ludmilla Pitoëff dans                            Georges et Ludmilla Pitoëff dans "Hamlet" de Shakespeare à Genève (1920) ©D.R.

De 1919 à 1921, il enchaîne une tournée à Paris, passant par le Théâtre des Arts, le théâtre du Vieux-Colombier. En 1922, il quitte Genève et s’installe à la Comédie des Champs-Elysées à la demande de Jacques Hébertot qui l’engage comme metteur en scène et comédien. Il arrive avec sa troupe. Tout au long de sa carrière, Pitoëff aura une troupe permanente. Il enchaîne une longue errance à travers les théâtres parisiens, et finit par s’installer en 1936 et jusqu’à sa mort en 1939, aux Mathurins.

« Antoine m’a dit que Paris était une garce qui vous plaque et vous oublie… Ainsi moi, on me découvre tous les deux ou trois ans dans les journaux comme si je venais d’arriver ».

Rigoureux, passionné, il cherche la vérité secrète des œuvres et leur donne un cadre à chaque fois surprenant. Courant toujours après l’argent, il trouve des astuces de décors, de scénographie. Il refuse toute reconstitution historique. Utilisant des rideaux et des praticables, il va vers la simplicité et le dépouillement, deux rubans tendus suffisent à figurer des tentes dans le désert.

Il s’est posé la question du public, de la nature du lien à établir avec la jeunesse et ceux qui ne fréquentent pas le théâtre. Lorsqu’il arrive aux Mathurins, il fait baisser le prix des places, voulant « accueillir toutes les bourses, c’est-à-dire les vrais amateurs de théâtre. »

Il a toute sa place dans le Cartel. Devant ses problèmes financiers récurrents, ses compagnons du Cartel, Jouvet, Baty, Dullin se montrent à son égard d’une grande générosité, demandant pour lui des aides et des subventions. Il est le seul du Cartel à qui Edouard Bourdet ne fait pas appel en 1936 pour mettre en scène des pièces et moderniser la Comédie-Française, sous prétexte qu’il n’était pas français, bien que naturalisé depuis 1929. En tout cas, il est le plus productif des quatre. Fier de tout ce travail sur le « Nouveau théâtre » fait pendant dix ans avec le Cartel, il peut dire, alors en 1936 : « Le résultat de notre travail est évident. Nous avons gagné ».

En 20 ans de carrière, cet homme prolifique a monté plus de 200 pièces. Il a beaucoup apporté à l’art théâtral qui fut pour lui, « une lutte sans relâche, jour après jour, d’une pièce à l’autre ». Epuisé, il meurt d’une crise cardiaque, juste après la déclaration de la guerre, le 17 septembre 1939. Quand Jouvet, Baty et Dullin fondent après la Libération les premiers statuts du syndicat des metteurs en scène, le souvenir de Pitoëff, dont selon Jouvet « … le génie dramatique dominait le Cartel », a dû les nourrir.

Sources : Encyclopedia universalis, (article sur le théâtre occidental d’Albert Simon)
« Histoire du théâtre dessiné », André Degaine (Nizet)
« Georges Pitoëff, metteur en scène », Jacqueline Jomaron (L’âge d’homme).



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