Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
Dans le cadre de son Action culturelle,
la SACD soutient la création de cet ouvrage
2014 (16 décembre), « Rencontre professionnelle sur le statut du metteur en scène »
Compte rendu de la table ronde sur le statut du metteur en scène
(le 16 décembre 2014 à la Maison des auteurs)
Légende : Jean-François Prévand (vice président du SNMS) , Emilie Le Thoër (responsable du service juridique du CNT), Panchika Velez (Présidente du SNMS), François Adibi (Président du think tank Altair), et Philippe Ogouz (vice président du SNMS)
Emilie Le Thoër (Responsable du pôle juridique au CNT) a présenté la double compétence, double casquette du metteur en scène : il est salarié employé par une compagnie ou un théâtre et il est auteur créateur.
Le Code du travail qualifie le metteur en scène d’artiste par l’exécution matérielle de sa conception artistique.
Emilie Le Thoër a présenté les différences entre les conventions collectives : celle des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) et, depuis 2013, celle du secteur privé.
Le metteur en scène est un cadre, contrairement au comédien qui est un artiste non cadre.
La grille des salaires n’est pas la même d’une convention à l’autre. Dans le secteur public, il n’y a pas de minimum de rémunération ; dans la convention du secteur privé, l’annexe 1 prévoit le SMIC avec une obligation de 2 heures de répétitions.
Finalement, la question du metteur en scène est donc peu abordée dans les conventions collectives.
Pour l’intermittence, l’annexe 10 traite l’assurance chômage.
Emilie Le Thoër a expliqué que si le metteur en scène devient employeur, c’est incompatible avec le bénéfice de l’assurance chômage du statut intermittent. Effectuer le casting relève du salariat ; confirmation a été donnée par l’Unedic.
Le metteur en scène dépend d’un contrat de travail, CDD d’usage, qui lui confère des droits à l’assurance chômage.
Emilie Le Thoër a ensuite évoqué le travail de conception artistique, la question du metteur en scène auteur, qui ne figure pas dans le code de la propriété intellectuelle mais qui fait l’objet depuis 1971 d’une jurisprudence accordant systématiquement la qualité d’auteur.
(voir commentaire en bas de page)
Emilie Le Thoër ajoute que la jurisprudence pose que l’œuvre doit être originale et formalisée, c’est-à-dire perceptible par un public. La notion d’originalité est subjective : elle signifie que l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
Emilie Le Thoër a expliqué que dès lors que la jurisprudence accorde l’originalité protégée par le droit d’auteur à un guide de programme TV ou à un dictionnaire, il est difficile de ne pas reconnaître l’originalité aux choix libres et arbitraires du metteur en scène et de lui refuser la qualité d’auteur.
Un arrêt de 2013 reconnaît en effet au metteur en scène la qualité d’auteur pour ses choix libres et arbitraires d’instructions, choix des interprètes, ton et rythme de la mise en scène.
Ces choix libres et arbitraires sont posés en rapport avec les annotations de l’auteur texte que le metteur en scène doit respecter.
Emilie Le Thoër a ensuite rappelé que peu importe le mérite de la mise en scène : il n’y a pas en droit pour la reconnaissance de la qualité d’auteur de parti pris esthétique, artistique et moral.
Par ailleurs, dès lors qu’on utilise l’œuvre d’un auteur, il faut son autorisation. Le metteur en scène autorise ou non l’exploitation de sa mise en scène. Cette exploitation lui procure un droit moral et des droits d’auteur ; l’annexe 1 impose un minimum de 2% des recettes d’exploitation.
Le metteur en scène peut céder ces droits à titre gracieux et négocier un pourcentage des recettes d’exploitation.
Philippe Ogouz, Vice-Président du SNMS a présenté le syndicat. Le SNMS n’appartient à aucune centrale. Il a été créé en 1944 dans l’intention de faire reconnaître le droit d’auteur. En 1956, il s’est mobilisé pour qu’un amendement passe dans la loi et a obtenu que la mise en scène soit comprise dans le terme général d’œuvre théâtrale. Le Code du travail a défini le salariat pour la part matérielle du travail du metteur en scène lors des répétitions. La part intellectuelle était indirectement reconnue par l’Agessa et l’URSSAF.
La cour d’appel de Paris lors de l’affaire Darnel en 1971 a considéré que toutes les mises en scène sont susceptibles d’être considérées comme œuvres si elles font preuve d’originalité. Cette originalité doit être prouvée par un livre de conduite déposé à la SACD.
Philippe Ogouz a ensuite évoqué la loi Lang, dont on peut conclure que le droit du metteur en scène n’est pas un droit voisin mais un droit d’auteur à part entière. En 1986, la convention entre le SNMS et le syndicat des directeurs de théâtres privés confirmait le double statut du metteur en scène et permettait l’entrée du SNMS à la SACD qui, en 1998, réservait dans son conseil d’administration un siège aux metteurs en scène.
En 2001, le SNMS réfléchissait à se renommer Association Professionnelle des Metteurs en Scène pour mettre l’accent sur le lien des adhérents dans leur mission artistique et sociale.
Philippe Ogouz a cité la décision de la cour d’appel d’Orléans qui en 2003 affirmait que le metteur en scène est un auteur. Le syndicat des tourneurs, les EAT et le SNMS réaffirmaient plus tard ce double statut : la représentation de spectacle vivant est une œuvre nouvelle collective où chacun des auteurs
(texte, mise en scène, chorégraphie, musique de scène, auteurs graphistes...) exerce tous ses droits d'auteur moraux et patrimoniaux sur la part de son apport.
Légende : Emilie Le Thoër (responsable du service juridique du CNT), Panchika Velez (Présidente du SNMS) et François Adibi (Président du think tank Altair).
François Adibi, Président du think tank Altaïr (Culture et Media) a témoigné de son expérience pour dire l’intérêt de mettre ensemble sur des objectifs précis des gens qui n’ont pas du tout les mêmes opinions : ces sessions donnent un recul sur ce qui marche et ce qui ne marche pas.
On sait vis-à-vis des politiques qu’une action culturelle n’est pas secondaire comme le prouvent de nombreux récents rapports tels que celui commandé par la SACEM : les industries créatives et culturelles génèrent 200 000 emplois, etc.
Il faut être très offensif dans cette démocratie de basse intensité ; dans le secteur artistique, il faut se mettre au niveau des guildes pour peser face aux technocrates.
Ceci est possible dans un syndicat ouvert et rassemblé. Le monde de la culture a un intérêt à se retrouver avec des gens qui ne sont pas de ce secteur ; François Adibi a pris l’exemple de Nicolas Collin de la CNIL : il est passionné de culture et son éclairage prospectif a montré l’importance d’une consultation transversale à travers l’exemple du numérique pour des problèmes communs aux artistes et acteurs du monde culturel avec l’idée que ces problèmes sont au fond des questions de société. Il n’y a pas d’émancipation sociale sans émancipation économique, si on ne s’en occupe pas, les autres vont nous bouffer.
Panchika Velez, Présidente du SNMS, s’entend avec François Adibi pour dire qu’il faut réfléchir avec des gens de la société civile ; le corporatisme ne doit pas être perçu comme un gros mot.
Caroline Delaude, avocate spécialisée en propriété intellectuelle est intervenue de la salle pour soulever une ambiguïté dans le texte d’un document du CNT mis à disposition pour la table ronde.
Emilie Le Thoër a corrigé : en cas de reprise d’un spectacle, le metteur en scène n’est pas toujours présent mais la mise en scène existe et il faut nécessairement un contrat de cession des droits.
Philippe Ogouz a précisé que dans la convention collective du théâtre privé, le metteur en scène doit être présent régulièrement lors des représentations. Son travail ne s’arrête pas à la générale.
Sur intervention de Jean-François Prévand, vice-président du SNMS, le débat est revenu sur la notion de « cession des droits au producteur ». En effet la cession définitive des droits est impossible en droit français.
(contrairement au droit anglo-saxon du copyright).
En droit français, le droit moral est incessible et les droits d’exploitation ne sont « cessibles » à un producteur que pour une durée définie, dans des conditions explicites (dates et lieux d’exploitation, mention et rémunération des répétitions) et avec des dates précises comme butoir. Cette cession temporaire et limitée doit figurer comme telle dans tout contrat.
La rémunération en « droits d’auteur » par le producteur n’est donc rien d’autre qu’une compensation pour cette exploitation bien définie.
Toute autre exploitation doit être l’objet d’un nouvel accord.
La notion est donc celle de droits concessibles, et on ne peut s’en défaire définitivement.
Le metteur en scène étant auteur, et ses droits moraux n’étant pas cessibles, ce sont ses droits patrimoniaux qu’il concède temporairement pour exploitation (représentations, captation, enregistrement etc.).
La conception anglo-saxonne qui permet effectivement la cession des droits moraux et patrimoniaux est malheureusement majoritaire en Europe.
Il faudra être très vigilant lorsque des lois d’harmonisation européennes ne manqueront pas d’être proposées.
Les échanges ont ensuite porté sur la rémunération forfaitaire et le risque de requalification par l’URSSAF.
Emilie Le Thoër a cité le code la propriété intellectuelle prévoyant une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation. L’exception est la rémunération au forfait hors déclaration SACD et distinctement de l’à valoir.
Le Code du travail prévoit le cas du metteur en scène qui n’est pas artiste mais inscrit au registre du commerce.
Il est très risqué de ne procéder que par une rémunération en droits d’auteur car un contrôle de l’administration peut contester le rapport entre le droit d’auteur et le salaire tout à coup très important. Un droit d’auteur n’est possible pour l’administration que s’il y a un contrat de travail antérieur pour la protection (cf accident du travail).
Philippe Ogouz a mis en garde contre les conséquences pour le métier des projets montés par les professionnels sans cadre contractuel, sans engagements établis : réaliser gratuitement ce travail expose à ne pouvoir ensuite être défendable sans preuves.
Georges Werler
Georges Werler, administrateur du SNMS, est revenu sur les notions de protection et requalification par les administrations : en périodes de crises, la Sécurité sociale, par ses directives, a obligé à nous mobiliser et à trouver des solutions à nos problèmes. Elle nous oblige à respecter la loi.
D’ailleurs, l’ASTP, fond de soutien au théâtre privé, exige qu’une part de la rémunération soit en salaire.
La convention de 86 a été une entente trouvée en climat de crise intense. La Sécurité sociale envisageait de requalifier en salaires les honoraires versés à tort aux metteurs en scène et d’infliger de lourdes amendes aux directeurs de théâtres. N’étant affiliés à aucune caisse, les metteurs en scène touchaient indûment leurs honoraires. Les théâtres privés risquant de se retrouver à genoux, la convention de 86 est née.
Un membre du SYNAVI (syndicat national des arts vivants) a pris la parole pour dire qu’il faut être nombreux pour être représentatifs et peser dans les négociations des conventions. Il y a des problématiques communes aux artistes, porteurs de projets.
Panchika Velez a rappelé que le SNMS n’est pas un syndicat d’employeurs. Elle est metteur en scène indépendante adhérente et présidente du SNMS, et aussi directrice artistique d’une compagnie de théâtre adhérente au Syndeac. En tant que présidente du SNMS, elle va à la rencontre du SNDTP, du SNES, du SYNAVI, du SYNDEAC etc. Un rapprochement peut se faire avec un syndicat de chorégraphe par exemple, ou d’auteurs réalisateurs.
François Adibi a conclu en disant qu’on ne peut plus être sur des positions purement défensives ; les périls sont globaux, il faut se retrouver sur nos objectifs communs tels que la thématique du salariat avec le bouleversement du numérique. On peut se rassembler en session de brainstorming et adresser des propositions comme cela a été fait pour réclamer une parité dans les instances dirigeantes afin que les élites, les technocrates, ne soient pas entre eux, issus des mêmes parcours.
Moni Grego, metteur en scène, demande si on peut influer sur les votes des budgets au Ministère afin que certains soient attribués exclusivement à l’artistique.
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ESPACE COMMENTAIRES
Jean François Prévand :
" Le code de la Propriété Intellectuelle de 1957 ne peut pas citer nommément les metteurs en scène car il ne traite pas des professions mais ne fait que lister, dans son article 3, les œuvres protégeables.
Parmi celles-ci il cite notamment les « œuvres dramatiques.
C’est ce terme qui a été reconnu par la jurisprudence comme un terme général, regroupant toutes les œuvres du domaine théâtral, comme les pièces de théâtre, les adaptations ou traductions, les mises en scène etc…
Il est donc inexact de dire qu’il a fallu attendre 1971 pour que le metteur en scène soit reconnu comme un auteur, les députés votant la loi ayant été clairement avertis, avant le vote, par maître ISORNI, rapporteur, que le terme « d’œuvres dramatiques » devait être entendu comme général. Et, après avoir lu aux députés une lettre de Jacques Hébertot sur le sujet, il conclut par ces mots :
« … une mise en scène, les précisions apportées par le metteur en scène, qui peuvent être écrites, constitueraient une œuvre artistique ayant droit à la protection de la loi. »
Ce n’est qu’après cette intervention, et en toute connaissance de cause, que les députés voteront l’article 3.
(journal officiel, séance du 20 avril 1956, page 1427)".