Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
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HISTORIQUE & ARCHIVES / Les actions syndicales du SNMS / Page 96 • Publiée le 26/04/2021
Malaise dans la Culture ! (édito de Cyril Le Grix ; mars 2021)
Malaise dans la culture
« On a l’impression que beaucoup d’hommes et de femmes des métiers artistiques sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société ».
Lettre de Jack Ralite à François Hollande - 3 février 2014
Voilà près d’un an que nous, artistes, avons été estampillés « non essentiels ». Qu’à ce titre notre secteur a été précipité dans une situation de quasi-survie. Si l’on peut reconnaître que la France a mis en place un certain nombre de mécanismes de compensation pour préserver son modèle culturel, il serait temps de s’interroger sur l’avenir des femmes et des hommes qui ont décidé d’y consacrer leur vie. En cela, la question de la réouverture des lieux culturels est légitime et devrait être au cœur des préoccupations ministérielles. Or force est de constater que le silence de notre ministre de la Culture ne fait que renforcer notre sentiment d’abandon et que l’indemnisation des artistes ne constitue pas à elle seule des preuves d’amour et de dilection suffisantes pour nous permettre de regarder l’avenir avec sérénité.
Ainsi, lorsque Madame Roselyne Bachelot rompt le silence en répondant laconiquement à l’interpellation de Pierre Niney qui soulignait dans un tweet récent l’incohérence de certains choix gouvernementaux, elle fait le choix d’une réponse chiffrée - « 80 000 morts par le coronavirus » - dont la seule finalité est de culpabiliser son interlocuteur espérant ainsi mettre un terme à toute discussion. Or cette répartie ministérielle est regrettable et elle n’est sûrement pas à la hauteur des enjeux culturels de notre pays. Regrettable parce qu’elle met en lumière l’aveuglement de notre ministre face au malaise et à la souffrance que beaucoup d’artistes traversent actuellement, comme si les risques de la Covid-19 invalidaient toute réflexion ou débat. Elle n’est pas à la hauteur car notre modèle culturel s’amenuise d’année en année et que les dégâts actuels provoqués par la pandémie risquent fort d’être aggravés si nous ne faisons pas preuve de lucidité politique.
En outre, le lien entre santé mentale et sociabilité nous montre à quel point l’être humain a besoin des autres pour son équilibre. Or le spectacle vivant en tant qu’art de la présence est un antidote au virtuel qui envahit toujours plus nos quotidiens, avec les risques de repli et d’enfermement mentaux qui guettent chacun d’entre nous. On peut dès lors à bon droit, sans être immédiatement suspecté de dessein insurrectionnel, s’étonner du choix de certaines restrictions appliquées de manière aveugle à l’ensemble de la population, faute d’une vision nuancée de la situation et souligner les conséquences délétères qu’elles entrainent sur nos existences.
Pourtant d’autres logiques existent et nous autorisent à reconsidérer certaines décisions comme la fermeture systématique des lieux culturels. Car à quelle logique répond l’inscription dans nos imaginaires du danger mortel que nous aurions à fréquenter les lieux culturels alors même que nous n’en courrions aucun dans les transports en commun, les supermarchés ou les lieux de culte ? Introduire un « deux poids-deux mesures » est extrêmement dangereux et pernicieux. Le risque et la contingence sont des données inéluctables de notre existence. L’incohérence voire l’absurdité de certaines décisions politiques sont quant à elles irrecevables et sèment le trouble et le chaos. Toute tentative de réflexion sur les pratiques artistiques ne peut pas être condamnée d’avance sans entrainer le risque d’une défiance du monde culturel vis-à-vis du politique.
Nous, artistes et professionnels du monde de la Culture, sommes responsables et soucieux face aux menaces sanitaires qui pèsent sur chacun et particulièrement sur les plus fragiles. Cependant des dégâts tout aussi irréversibles s’accumulent de jour en jour pour notre secteur et beaucoup de questions sont à ce stade sans réponse. D’ores et déjà les reports dans le spectacle vivant se comptent par centaine et tuent dans l’œuf tout nouveau projet de création pour les deux prochaines années. Comment le ministère de la Culture envisage-t-il l’avenir des artistes et de leurs collaborateurs lorsque les dispositifs de soutien prendront fin ? Parmi eux, que deviendront les metteuses et les metteurs en scène s’ils ne peuvent retrouver le chemin des plateaux pour créer ? Vont-ils devoir se reconvertir le temps que le flot des spectacles reportés s’épuisent et laisse la place à de nouvelles créations ?
L’Art et la Culture ont toujours été l’un des pôles majeurs de constitution de la France, c’est la raison pour laquelle il est urgent d’envisager l’avenir et de faire preuve de courage politique avec la mise en place d’un plan de relance ambitieux, digne de notre histoire. Nous y sommes prêts !
Cyril le Grix
1er vice-Président