Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
Dans le cadre de son Action culturelle,
la SACD soutient la création de cet ouvrage
Gaston Baty et la mise en scène comme interprétation originale de l’écriture
« Je n’ai vécu que pour le théâtre » Gaston Baty (1885-1952).
Dès le collège, il s’intéresse à l’art dramatique et créé « L’académie de l’Athénée » où il s’essaye à la mise en scène et à l’écriture. Après des études lettres et d’histoire de l’art à l’université de Lyon, il part en 1907 pour un an à Munich. Il décide de sa vocation en assistant au Künstler Theater, à une représentation de « Faust » de Goethe, mise en scène de Georg Fuchs et décors de Fritz Erler. En plus de leurs travaux, il découvre ceux de Max Reinhardt et de Constantin Stanislavski.
« Un grand mouvement de rénovation dramatique s’ébauche dans le monde entier, parce qu’il correspond à une modification de la sensibilité universelle… Pour nous le théâtre est donc devenu un monde complet. Le silence, la mimique, le geste, la musique, la lumière achèveront d’exprimer ce que le texte ne peut pas dire ».
A son retour, il perfectionne sa connaissance du théâtre. Les recherches de Georg Fuchs, bien sûr mais également celles de Gordon Craig pour qui le metteur en scène est celui qui passe le texte au fil du rasoir de son regard, et d’Adolphe Appia l’aident à formuler sa doctrine.
«[…] Le théâtre est un art, […] la beauté est la raison d’être de l’art, […] le théâtre doit être création de beauté dans toutes ses parties, à commencer par le texte qui en est la partie centrale ».
En 1919, Firmin Gémier l’entraîne à Paris pour régler avec lui ses grands spectacles, avec mouvement de foule, du Cirque d’hiver, dont « Œdipe, roi de Thèbes » de Saint-Georges de Bouhélier. Ce denier demande l’année suivante à Baty de mettre en scène sa pièce « Les esclaves » au Théâtre des Arts avec dans la distribution Charles Dullin et Marguerite Jamois. Firmin Gémier, à qui Jacques Hébertot fait appel pour diriger la Comédie Montaigne (Comédie des Champs-Elysées), demande à Baty de le seconder, il y monte « L’annonce faite à Marie » de Paul Claudel. Il dit choisir une œuvre pour ce qu’elle a à dire mais aussi pour ce qu’il a, à travers elle, à nous dire.
En 1921, il prend son envol et crée sa troupe, « Les Compagnons de la Chimère ». Avec ses collaborateurs de la première heure, il constitue ce qu’il appelle un groupe de travail. Comédiens, danseurs, décorateurs, musiciens se réunissent autour de lui pour livrer un combat, celui d’un théâtre exigeant. Après un début d’existence un peu hasardeuse, Baty monte enfin des œuvres qui affirment son style. Il choisit un répertoire qui fait la part belle au surnaturel, au rêve. Pour Baty, le metteur en scène est un créateur égal à l’auteur. Artisan accomplit du théâtre, il a une conception d’un théâtre total où tous les éléments entrent en jeu pour composer le spectacle, d’où l’importance du décor et de l’aspect visuel des pièces. Par ses éclairages savants et complexes, il a été souvent rapproché de l’expressionnisme allemand.
«… Shakespeare et Molière ne sont pas de purs intellectuels, mais vraiment des metteurs en scène qui, à côté de leur métier principal et en fonction de lui, ont écrit des pièces pour leurs maisons et des rôles pour les comédiens, sans perdre de vue les ressources de leurs plateaux ».
Baty s’interroge sur le rôle du texte au théâtre et critique le « textocentrisme » qui soumet le théâtre à la littérature dramatique. Il appelle de ses vœux des auteurs qui laissent la place à la mise en scène.
« Le texte n’est pas tout. Sous le texte écrit, nous sentons des harmoniques qui ne sont pas écrites… En un mot, l’homme n’est pas seulement la parole qu’il dit. »
Il sait l’importance du texte mais affirme que parfois un geste où même un silence peut être plus éloquent qu’une parole. En 1922, il demande à Jean-Jacques Bernard, fils de Tristan Bernard, un texte sur le silence au théâtre. L’auteur lui propose sa pièce « Martine », jouée une première fois avec succès aux Mathurins avec Marguerite Jamois.
En 1923, il fait construire un petit théâtre en bois, la Baraque de la Chimère à Saint-Germain des Prés. Il écrit dans le premier bulletin de la Compagnie : « La Chimère n’est pas une affaire mais une œuvre. La Chimère n’a pas de capitaux mais une foi ». Mais très vite, il doit mettre la clé sous la porte et écrit dans le dernier fascicule : « La Chimère était une œuvre mais pas une affaire. La Chimère avait une foi mais pas de capitaux».
A la demande de Jacques Hébertot, il dirige de 1924 à 1928 le Studio des Champs-Elysées avec succès, dont le plus grand est « Maya » de Simon Gantillon. Il sait que face à un théâtre de divertissement, fait de vaudevilles bâclés et de pièces approximatives, il faut proposer du théâtre « bien fabriqué et bien joué qui intéresse et plaise » et mener un incessant combat pour ce nouveau théâtre.
C’est dans cet esprit qu’il entre dans l’aventure du Cartel en 1927 auprès de Louis Jouvet, Charles Dullin et Georges Pitoëff. Des quatre, il est le seul à ne pas être comédien et il est même celui qui accepte le moins la dictature du texte. Se consacrant essentiellement à la mise en scène, Baty est considéré souvent comme le plus novateur du groupe.
"Maya" (D.R., collection A.R.T.)
En 1925, Gaston Baty, Jacques Copeau, Henri Ghéon et Georges Le Roy (de la Comédie-Française) fondent la fédération des artistes catholiques du théâtre de France (« Les Confrères de Saint-Genest »). C’est la première forme de l’Union catholique du théâtre et de la musique (UCTM), dont Baty est président.
En 1926, Baty et Jouvet entrent à l’Association de la Régie Théâtrale (ART) et appartiennent à la commission technique. Jouvet la quitte lorsqu’il arrive à l’Athénée mais Baty y reste jusqu’à sa mort. C’est grâce à lui, au moment de la fondation du Syndicat des metteurs en scène, que l’ART obtient le dépôt légal des mises en scène.
De 1927 à 1928, il prend la direction du théâtre de l’Avenue et s’essaie aux classiques de manière novatrice. Les deux pièces marquantes sont « Hamlet » et « Le malade imaginaire » (voir page "Le malade imaginaire" de Gaston Baty). Insistant sur l’angoisse de la mort, il fait de la pièce de Molière, un drame, faisant basculer la comédie vers le cauchemar. Il s’en explique ainsi dans son programme à la reprise de la pièce au théâtre Montparnasse en 1936 :
« Plus une œuvre est grande, plus elle est riche en contrastes, presque en contradictions. Ces caractères secondaires sont sacrifiés au caractère principal dans sa réalisation normale. Notre but est de renverser les valeurs, de faire venir artificiellement, temporairement, au premier plan ce qui reste au dernier. Non pas d’ajouter à la pièce quelque chose qui ne serait point, mais d’éclairer quelque chose qui y est caché, et qu’on laisse d’habitude dans l’ombre. Nous déplaçons le projecteur. Ou, si l’on veut une autre comparaison : le musée présente la statue de face, sous son plus bel aspect, à la foule des visiteurs ; les curieux tournent autour et vont la regarder par-derrière ».
En 1930, il s’installe au théâtre Montparnasse et trouve enfin la scène et la salle qui lui conviennent. Perfectionnant la cage de scène pour arriver à des changements de décors d’une rapidité extrême, améliorant sans cesse l’équipement électrique, il en fait un instrument remarquable. Hostile à une formule unique pour les décors, il aime trouver les solutions habiles et séduisantes, sans machinerie compliquée. Il utilise des palissades mouvantes pour « L’opéra de quat ‘sous » de Bertolt Brecht, qu’il introduit pour la première fois en France. Très vite, il attire un public grâce à ses adaptations de « Crime et châtiment » d’après Dostoïevski, « Madame Bovary » d’après Flaubert.
En 1936, Edouart Bourdet, demande à Copeau, Jouvet, Dullin et Baty de l’aider par leur mise en scène à « moderniser » la Comédie-Française. Baty met en scène « Le chandelier » d’Alfred de Musset et surtout « Un chapeau de paille d’Italie » d’Eugène Labiche, comédie qu’il traite comme un « cauchemar gai ».
Début 1940, avec Charles Dullin et Pierre Renoir, il forme un triumvirat à la tête de l’association des directeurs de théâtre de Paris. Confrontés aux exigences des autorités allemandes et notamment pour ce qui concerne les lois antijuives, ils font le choix de faire en sorte que le théâtre survive durant ces années noires. En 1942, malade, il passe le théâtre Montparnasse à Marguerite Jamois. Jusqu'en 1947, il suit la programmation avant de laisser la direction totale à son actrice fétiche.
De 1944 à 1949, il constitue une troupe et un répertoire pour les marionnettes à la française. Il est passionné par cet art qu’il utilise pour « rethéâtraliser le théâtre, le purifier du réalisme ». Il est un des grands contributeurs au renouveau de cet art en France.
Après la Libération, ce défenseur des droits du metteur en scène en tant que créateur peut enfin se battre pour faire reconnaître cet état de fait. Avec Louis Jouvet, Charles Dullin, , Jacques Rouché, Gordon Craig et André Barsacq, il fonde le Syndicat des metteurs en scène d’ouvrages dramatique, lyriques et chorégraphiques. Gaston Baty déclare que le principal but de ce syndicat est de faire reconnaître le metteur en scène comme un auteur. En 1946, Gaston Baty, Président du syndicat, obtient du Syndicat des Directeurs de Théâtre Privé que le travail du metteur en scène soit reconnu comme œuvre de l’esprit. (Voir rapport moral de l'assemblée générale 1946).
En 1951, il découvre le travail des premières troupes de la décentralisation théâtrale et propose à Jeanne Laurent d’appuyer ce mouvement en prenant la direction d’un centre à Aix-en-Provence qui prend le nom de Comédie de Provence-Centre dramatique du Sud-Est. Malheureusement, il n’a guère de temps de conduire son projet, car il décède l’année suivante, le 13 octobre 1952.
Le 15 mai 1953, le Syndicat des metteurs en scène organise au Théâtre Montparnasse une représentation d’hommage présentée par Béatrix Dussane, pendant laquelle des scènes de pièces montées par Gaston Baty sont jouées par une vingtaine d’artistes, des messages où hommages sont lus par leurs auteurs ou par Fernand Ledoux, des extraits de textes de Baty par Jean Mercure.
Ce visionnaire a compris comment le théâtre pouvait se renouveler avec l’affirmation du rôle prépondérant du metteur en scène.
« Le poète a rêvé une pièce. Il met sur le papier ce qui en est réductible aux mots. Mais ils ne peuvent exprimer qu’une partie de son rêve. Le reste n’est pas dans le manuscrit. C’est au metteur en scène qu’il appartiendra de restituer à l’œuvre du poète ce qui s’en était perdu dans le chemin du rêve au manuscrit. »
Marie-Céline Nivière
Sources : « Gaston Baty », introduction de Béatrice Picon-Vallin, postface de Gérard Liebert (Actes Sud-papiers, collection Mettre en scène).
« Gaston Baty », Raymond Cogniat (Les Presses littéraires de France, 1953).
« Histoire du théâtre dessinée », André Degaine (Niizet).
« Dictionnaire encyclopédique du théâtre », dirigé par Michel Corvin, article de Georges Liebert (Bordas).
« Le théâtre français du XXe siècle », dirigé par Robert Abirached (L’Avant-Scène).
« Revue d’histoire du théâtre », publications de la Société d’histoire du théâtre de 1953 (Les Presses Littéraires de France).
Régie théâtrale et mise en scène" (L'Association des régisseurs de théâtre 1911-1939), Françoise Pelisson-Karo (Presses universitaires du Septentrion)
Encyclopédie universalis, article d’Armel Marin, article de Pierre-Aimé Touchard.
Site du théâtre Montparnasse, l’historique.