Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
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Jouvet ou le texte comme exigence absolue
Louis Jouvet (1887-1951) est homme de théâtre. Il en connaît tous ses rouages. Son entourage l’appelait le « Patron ». Pour lui, le théâtre était « une chose spirituelle ; un culte de l’esprit ou des esprits ». Investi d’une mission, il était au service d’un théâtre d’art. Se levant contre le théâtre réaliste, naturaliste, qu’il appelait celui des « tranches de vie », il n’a eu de cesse de vouloir restaurer la convention théâtrale et servir le texte.
« Par une recherche laborieuse et continue, j’ai porté mon goût du dramatique dans tous les domaines du théâtre. Le plaisir de la curiosité et la prétention de connaître m’ont fait étudier tout ce qui peut s’apprendre : art de jouer, de mettre en scène, de décorer, de peindre et d’éclairer, science du constructeur ou de l’architecte de théâtre, décors et costumes, littérature, psychologie, commentaires critiques, souvenirs sur le théâtre ».
Etudiant en pharmacie, il donne tout son temps de libre à sa passion : le théâtre. Recalé plusieurs fois au Conservatoire d’art dramatique, il joue dans des troupes amateurs. Mais tout change lorsqu’en 1912, il rencontre Jacques Copeau.
« Tous, tant que nous sommes, nous ne ferons jamais que du Copeau ».
En 1913, lorsqu’il ouvre le théâtre du Vieux-Colombier, Copeau l’engage comme régisseur et comédien. Jouvet devient son second. En tant que régisseur, Jouvet élabore le dispositif scénique du Vieux-Colombier. Copeau voulant retrouver la simplicité du tréteau nu, Jouvet crée un dispositif scénique fixe et architecturé capable de s’adapter aux formes dramatiques les plus diverses et qui permet de privilégier le jeu de l’acteur.
Démobilisé en 1917, Jouvet part retrouver Copeau à New York et participe là aussi au dispositif scénique du Garrick théâtre, s’inspirant de la scène Elisabéthaine. Toujours au poste de régisseur, il inventera un nouveau type de projecteurs, appelé aujourd’hui « Les Jouvets ».
Auprès de Copeau, Jouvet apprend le métier de comédien et de metteur en scène. Il est très vite apprécié comme comédien par la critique et le public. Son interprétation de bègue dans le rôle de Macroton dans « L’amour médecin » de Molière, mis en scène par Copeau, installera la légende qu’il était bègue et que sa diction particulière, cette manière de casser la phrase et de rythmer le verbe, était là pour le cacher. Il s’avère qu’il aurait eu dans sa prime jeunesse des problèmes d’élocution qu’il aurait soigné par l’apprentissage de textes et on comprend alors pourquoi Jouvet ait toujours porté un intérêt très fort à la place de la diction dans le jeu de l’acteur.
« En le disant simplement dans la clarté de la diction, tu te sentiras atteint par ce qu'il y a à l'intérieur du texte ».
Si Copeau attend tout du théâtre, pour Jouvet le théâtre n’est rien d’autre que du théâtre. Durant leur séjour, aux Etats-Unis, les relations entre les deux hommes se dégradent et en 1922, Jouvet quitte Copeau pour rejoindre Jacques Hébertot au théâtre et à la Comédie des Champs-Elysées. Comme directeur technique. Il participe à la création du Studio, qu’il équipe d’une petite scène modulable.
En 1923, Jouvet monte « Knock » de Jules Romains, qui connaît un immense succès. Le style Jouvet est alors mis en place. Pour Jouvet le théâtre est d’abord « un beau langage ». La soumission au texte est le maître mot.
« C’est l’enseignement du texte seul qui guide, c’est le texte seul qui conduit une représentation ».
A la suite de Copeau, il maintient le théâtre dans toute sa dignité littéraire. Cet effacement devant l’œuvre fait qu’il est un des metteurs en scène qui ont marqué leur temps.
« Quel que soit son talent ou son inspiration, celui qui écrit l’œuvre est le véritable créateur. C’est lui qui suscite, élève l’acteur et pourvoit à ses besoins, qui détermine la mise en scène et réforme le théâtre. »
Après le départ de Jacques Hébertot, Louis Jouvet devient directeur de la Comédie des Champs-Elysées. Il est enfin le « Patron ». Copeau lui cède son répertoire et ses abonnés. En 1927, il s’unit avec Charles Dullin, Gaston Baty et Georges Pitoëff, tous trois metteurs en scène et directeurs de théâtre. Ensemble, il forme le Cartel, une union fondée sur des bases morales, en réaction à l’envahissement du théâtre commercial et aux abus de pouvoir de la critique.
Mais, l’élément marquant est sa rencontre avec Jean Giraudoux, dont il monte « Siegfried » en 1928. Il mettra en scène de nombreuses pièces de celui qu’il considère comme un poète et avec qui il entretient une relation étroite.
« En fait l’auteur a maintenant deux muses, l’une avant l’écriture, qui est Thalie, et l’autre après qui est pour moi Jouvet ». (Jean Giraudoux).
En 1934, Jouvet quitte la Comédie des Champs-Elysées pour le théâtre de l’Athénée. Il devient la même année professeur au Conservatoire d’art dramatique de Paris. Le métier de comédien a toujours été au centre de ses réflexions, et il ne cesse de méditer sur cette « incompréhensible possession et dépossession de soi ». Lee Strasberg, fondateur de l’Actor studio, considère Jouvet comme le premier metteur « à avoir fait de l’acteur une force créatrice ».
« Seul un travail lent, acharné, donne la possibilité à l’interprète de s’ouvrir peu à peu au personnage, de « témoigner » pour lui, en mettant modestement à son service une technique, une voix, un visage ».
A l’Athénée, il se consacre à l’œuvre de Molière et là aussi, par sa vision, il va bouleverser sa lecture. Sa mise en scène de « L’école des femmes » en 1936 a marqué les esprits. Avec la complicité du décorateur Christian Bérard, il invente le décor des « murs ouvrants » qui permette de représenter à la fois les murs de la maison et le jardin ainsi que la place publique où se déroule une bonne partie de l’action.
« La mise en scène au théâtre est l’utilisation des éléments matériels mis à la disposition du poète et des comédiens, c’est-à-dire la mise en œuvre du lieu et de ses ressources. Son but vise à l’expression dramatique de l’œuvre. C’est-à-dire à l’effet qu’elle doit produire sur le spectateur ».
Louis Jouvet et Madeleine Ozeray dans "L'Ecole des Femmes"
En 1941, Jouvet, qui avait connu les carnages de la Première Guerre mondiale, choisira l’exil plutôt que de se plier aux demandes de l’occupant de jouer Goethe plutôt que Giraudoux. Avec l’aide du tourneur de spectacles, Marcel Karsenty, il emporte avec lui sa troupe pour une longue tournée en Amérique du Sud. Après la Libération, ses amis du Cartel, Charles Dullin et Gaston Baty, le contactent pour créer le Syndicat des metteurs en scène. Bien qu’absent de France, Jouvet participe à l’élaboration des premiers statuts et, jusqu’à sa mort, il partagera avec eux la présidence.
A son retour au printemps 1945, il récupère le théâtre de l’Athénée. Il monte « La folle de Chaillot » de Jean Giraudoux. La pièce, avec dans le rôle principal Marguerite Moreno et Jouvet dans le rôle du chiffonnier, connaît un immense succès. Ensuite, Jouvet va reprendre ses grands succès, « Knock », « L’école des femmes », et « Dom Juan », qui n’avait été joué que six fois en 1947.
Durant ses dernières années, Jouvet participera activement à la décentralisation théâtrale. Souffrant du cœur, Jouvet meurt en 1951 d’une crise cardiaque en son théâtre de l’Athénée. Lors de ces funérailles les gens du métier et surtout le public, rendirent un vibrant hommage à l’acteur, que le cinéma avait fait connaître du grand public, mais surtout au grand homme de théâtre.
Toute sa vie, Louis Jouvet, n’a eu de cesse de se demander et de réfléchir sur ces trois questions : Pourquoi le théâtre ? Pourquoi faire du théâtre ? Pourquoi va-t-on au théâtre ?
Marie-Céline Nivière
Sources : « Témoignages sur le théâtre » et « Le comédien désincarné », Louis Jouvet (Flammarion).
« Encyclopeadi universalis », (article de Robert Laroche).
Site Louis Jouvet, créer par la famille de l’artiste.
« Histoire du théâtre dessinée », André Degaine (Nizet).
« Dictionnaire encyclopédique du Théâtre », dirigé par Michel Corvin. (Bordas, 1991).
« Histoire du Théâtre », Bernard Sallé (Librairie Théâtrale).
« Le théâtre », Alain Couprie (Nathan Université).