Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
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Charles Dullin ou l'artisanat en Atelier
« Le théâtre est un art complet, se suffisant à lui-même ». (Charles Dullin 1885-1949)
C’est au début du siècle dernier, à l’âge de 15 ans, que le jeune savoyard découvre à Lyon le théâtre et les cercles anarchistes. A 17 ans, il quitte le séminaire et s’oriente définitivement vers le théâtre à qui il voue une véritable passion.
« La vie est plate sans un idéal, sans ce quelque chose de l’au-delà que l’on ne peut puiser que dans l’art ou le mysticisme. Si je n’étais artiste, certainement je serais moine ».
Il monte à Paris en 1905 où il perfectionne son éducation de comédien. Il joue dans des mélos mais surtout, il se produit au cabaret du Lapin Agile en disant essentiellement des textes de Villon. C’est là qu’Antoine le remarque et l’engage. Il entre alors à l’Odéon. Devant le naturalisme prôné par Antoine, il comprend que le théâtre ne doit pas reproduire la réalité selon le procédé réaliste, mais la transposer.
« Le grand art, c’est de faire rêver en évoquant, en suggérant la vie multiple et mystérieuse ».
Il quitte Antoine pour rejoindre le théâtre des Arts où il a décroché son premier grand rôle, Smerdiakov dans « Les frères Karamazov » mis en scène par Jacques Copeau. Cette rencontre est déterminante pour lui. Comme Copeau, le jeune homme pense que l’œuvre dramatique doit dépasser le banal et le quotidien. Motivant sans cesse Copeau, il le pousse à prendre l’initiative d’un « mouvement théâtral nouveau ».
(C.Dullin, J. Copeau, A. Tollier, B. Albane, G. Roche, J. Lory, S. Bing, L. Jouvet, R. Carl, A. Karifa et Filou le chien. ©Maison Jacques Copeau)
« Il faut que vous entrepreniez quelque chose. Vous êtes le seul à pouvoir le faire à Paris. Dans votre intérêt même vous le devez ». (Lettre à Copeau, 1913)
En 1913, Dullin trouve la salle du Vieux-Colombier et participe avec Jouvet à la création de cette grande aventure. Intransigeant, Dullin pousse souvent des coups de gueule après le « Maître ». Car si leurs conceptions théâtrales les réunissent leurs tempéraments les opposent régulièrement. C’est auprès de Copeau qu’il peaufine son jeu d’acteur et pose les bases du personnage de Harpagon.
Durant cette période, il commence à réfléchir sur la nécessité de fonder une école d’art dramatique et une compagnie. La Première Guerre mondiale éclate. Réformé pour cause de santé fragile, il s’engage alors comme « volontaire » et se lance dans l’expérience du théâtre aux armées. Blessé, il est démobilisé et part rejoindre Copeau à New York avec qui il finit par se fâcher. Il entre dans la troupe de Firmin Gémier et devient, pour la première fois, professeur d’art dramatique. Mais, il a besoin d’un lieu à lui, d’avoir son domaine de travail.
« Le comédien devient metteur en scène pour vivre totalement son métier d’acteur ».
En 1921, il crée sa troupe qu’il nomme « L’Atelier » et dont le manifeste débute ainsi : « L’Atelier n’est pas une entreprise théâtrale mais un laboratoire d’essais d’art dramatique. » Il désire retrouver les fondamentaux de l’art théâtral, proche de celui des saltimbanques.
« Une pièce, des acteurs, un tréteau ».
En même temps, il ouvre son école. Remarquable pédagogue, son enseignement a marqué de nombreuses générations de comédiens, comme Jean-Louis Barrault, Jean Vilar, Jean Marais, Alain Cuny, Marguerite Jamois, Jacques Dufilho, Marcel Marceau, Claude Régy, Jean-Marie Serreau… Puisque l’art théâtral est un art complet, ses élèves suivent des cours d’improvisation, de gymnastique rythmique, de mime, de masque, de diction, de chant, de jeu dramatique, de danse, d’escrime, mais aussi d’histoire du théâtre, car sans culture, le comédien ne peut aborder et comprendre un texte, un auteur.
« Dullin nous mettait tout le théâtre entre les mains ». (Jean Vilar)
(Dullin professeur, derrière lui Alain Cluny ©Roger-Violet)
En 1922, il s’installe au Théâtre de Montmartre qu’il rebaptise, l’Atelier. Son programme artistique est le suivant : « Revenir à la grande tradition du spectacle et, cette base solide une fois trouvée, s’aventurer à la recherche de formes originales, en accord avec notre époque. » Comparant le metteur en scène à un capitaine de navire, il assure que le devoir d’un directeur et chef de troupe est de se mettre au service des « formes les plus saines et les plus nobles du théâtre ».
Il monte des classiques, « renouvelle » Molière, Shakespeare. Ces gros succès, qu’il reprend à chaque fois qu’il a besoin de renflouer ses caisses, sont « L’avare » de Molière et « Volpone » de Ben Jonson, rôle qu’il reprend au cinéma en 1941 auprès de Jouvet, sous la réalisation de Maurice Tourneur.
(Dullin et Jouvet dans le film "Volpone" )
Il fait aussi découvrir Luigi Pirandello, Marcel Achard, Armand Salacrou… Il rêvait de fonder une école d’auteur. S’il n’a pu le faire, il a toujours soutenu la création. En 1947, il devient secrétaire général de la commission d’aide à la première pièce, instaurée par la direction générale des arts et des lettres. Il a une haute idée de l’importance du théâtre et de son rôle social.
« Le théâtre n’est pas un commerce mais un art. Il a une tâche à remplir dans la société : élever les esprits vers ce qui est beau, durable, vers ce qui donne du prix à la vie ». (Préambule du programme de la Cité 1941-1942)
En 1927, il monte « Les oiseaux » d’Aristophane et interdit l’entrée de la salle au public après le levé de rideaux. La critique s’en offusque et menace de boycotter l’Atelier. Ces amis et directeurs de théâtre, Louis Jouvet, Gaston Baty et Georges Pitoëff, réagissent en menaçant de retirer leur pub des journaux. Ensemble, il décide de faire une alliance pour s’entraider matériellement et affirmer leur liberté de création. Le Cartel est créé.
En 1941, ayant besoin d’une plus grande salle, Dullin laisse à André Barsacq le théâtre de l’Atelier. Il passe par le Théâtre de Paris avant de s’installer au théâtre Sarah Bernhardt qu’il rebaptise le théâtre de la Cité, à la demande des autorités allemandes, ce qui lui sera beaucoup reproché après la guerre. C’est là qu’il monte en 1943, « Les mouches » de Jean-Paul Sartre.
En 1947, devant le gouffre financier dû à la gestion chaotique de Dullin, la Ville de Paris décide de le renvoyer. Cette décision, provoque un grand émoi et surtout une levée de protestation.
« C’est parler bien légèrement que de parler de « sacrifier » Dullin. Il n’a pas besoin de ce surcroît d’honneur… et le théâtre n’a pas besoin de cette nouvelle indignité. . Dullin a assez fait de sacrifices pour le théâtre. Qui pourrait le désavouer aujourd’hui ? De qui donc relève le théâtre en France ? Le théâtre n’est-il qu’une affaire ? » (Louis Jouvet, Combat du 22 mai 1947).
« Ce vénérable artisan a prodigué sa vie, son génie, son travail comme Georges Pitoëff (et j’entends son appel là-haut), pour prouver au monde que l’intégrité et la beauté existent, nécessitées premières pour les hommes malgré tous les ors de la terre. » (Ludmilla Pitoëff, combat 27 mai 1947).
C’est alors que Gaston Baty l’adresse Marguerite Jamois, son ancienne élève, qui l’accueille au théâtre Montparnasse où il monte « L’archipel noir » d’Armand Salacrou. Malade, il interrompt sa tournée de « L’avare » et meurt le 11 décembre 1949.
« Ma vie pour le théâtre n’a été, et je le sais, ne sera jusqu’à la fin qu’une lutte. Ma passion pour le théâtre reste la même ».
Avec ses amis du Cartel, et ses anciens élèves comme Jean Vilar et Jean-Louis Barrault, Dullin appartient au mouvement de renouvellement français qui aboutit à un théâtre décentralisé populaire. Soucieux de faire connaître et jouer le théâtre en tout lieu, ce sujet lui tient à cœur et depuis longtemps. En 1938, il avait déjà rédigé un rapport sur la décentralisation dramatique pour le ministère des Beaux-Arts.
Avec Jacques Copeau, Louis Jouvet, Gaston Baty, Dullin participe aux débats sur la profession et c’est ensemble, qu’ils signent en 1944, ce texte majeur du statut du syndicat des metteurs en scène, auquel il adhère dès la création : « Ne peut se dire metteur en scène que celui qui, par son art personnel, apporte à l’œuvre écrite par l’auteur une vie scénique qui en fait ressortir les beautés sans jamais en trahir l’esprit. A ce don de maître du jeu, il doit joindre des connaissances générales lui permettant d’ordonner et de diriger le travail pratique des acteurs, du décorateur, des musiciens, du régisseur, des électriciens, des machinistes et autres aides. » Après sa disparition, le syndicat des metteurs en scène souhaite, que la place Dancourt, où se trouve le théâtre de l’Atelier, porte son nom.
(Extrait du rapport moral de l'assemblée générale du SNMS de 1951)
Marie-Céline Nivière
Sources : « Charles Dullin », introduction et choix de textes Joëlle Garcia (Collection « Mettre en scène », Acte Sud-Papiers).
« Charles Dullin » (volume 1), Monique Surel-Tupin, thèse-université Paris III, 1979 (Presses Universitaire de Bordeaux).
« Histoire du théâtre dessinée », André Degaine (Nizet).
Site de l’école Charles Dullin, Le MOOC, chapitre « Notre histoire ».