Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
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Le Cartel
Le 6 juillet 1927, Gaston Baty, Charles Dullin, Louis Jouvet et Georges Pitoëff fondèrent « le Cartel des quatre ».
Les théâtres qu’ils dirigeaient alors, le Studio des Champs-Elysées (Baty), le théâtre de l’Atelier (Dullin), la Comédie des Champs-Elysées (Jouvet) et les Mathurins (Pitoëff), ne dépassant pas les 500 places, les condamnaient à un public restreint, et du coup à devoir vivre à coups d’expédients et de survivre grâce aux mécénats. Il leur fallait trouver des solutions, dont beaucoup vont être inspirées par celles élaborées pour le Vieux-Colombier par Jacques Copeau (dont Dullin et Jouvet furent les disciples). C’est ainsi qu’ils créèrent le Cartel, une union fondée sur des bases morales, en réaction à l’envahissement du théâtre commercial et aux abus de pouvoir de la critique.
Dans le manifeste du Cartel, publié en octobre 1927 dans « Entr’acte » (programme du théâtre de Louis Jouvet), il y est précisé que dans « un soucis d’entraide », l’association est « basée sur l’estime professionnelle et le respect réciproque qu’ils ont les uns envers les autres ».
Actualité du Cartel 1938 (Collections A.R.T.)
Ils organisent des réunions régulières où, ensemble, ils étudient toutes les questions d’ordre professionnel. Ils mettent surtout en place une politique commune d’abonnements, d’invitations et de publicité, ainsi qu’une coordination des répertoires et des tournées à l’étranger. Pour la petite histoire, ce sont eux qui prendront la décision d’interdire l’entrée en salle une fois le rideau levé, afin de ne plus déranger le bon déroulement du spectacle.
Même si dans la mémoire collective, le Cartel représente le symbole d’une formule esthétique, il faut rappeler que ce n’est pas un mouvement artistique à proprement parler. Leurs créations, leurs perceptions du théâtre et leurs caractères sont trop différents. Pour Dullin, « le saltimbanque », le sens de l’action dramatique l’emportait sur le respect de la forme littéraire. Jouvet, « l’ingénieur », étant porté sur le culte du beau, subissait le charme des idées et des mots. Baty, « l’enlumineur », lui aimait recréer des atmosphères proches de celle du rêve. Pitoëff, « le magicien », dans un esprit métaphysique, était pour l’émancipation de la pure poésie.
(Collections A.R.T.)
Malgré leurs différences de point de vue artistique, ils avaient en commun leurs efforts de recherche et de création. Ils revendiquaient l’autonomie de l’art de la mise en scène. Ils estimaient, à la suite de Copeau, que la rénovation du théâtre devait passer par un retour à une convention dramatique faite de poésie. La mise en scène était conçue pour eux comme un moyen au service du texte à représenter.
Tous les quatre, amoureux des grands textes, ont opéré une nouvelle lecture des grands auteurs classiques, français et étrangers, et découvert de nombreux auteurs contemporains.
"Le Premier Hamlet" de Shakespeare, mise en scène Gaston Baty, avec Marguerite Jamois, 1928 - Théâtre de l'Avenue (Collections A.R.T.)
"Les oiseaux" d'Aristophane, mise en scène Charles Dullin, 1928 - Théâtre de l'Atelier (Collections A.R.T.)
"Amphitryon 38" de Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet, 1929 - Comédie des Champs-Elysées (Collections A.R.T.)
"Le voyageurs sans bagage" d'Anouilh, mise en scène Georges Pitoëff, 1937 - Théâtre des Mathurins (Collections A.R.T.)
Pour leur public « d’amateur », le Cartel a représenté une « famille d’élection », luttant avec passion, dans des conditions difficiles, pour un théâtre de qualité.
On comprend alors qu’en 1936, Edouard Bourdet, alors administrateur, demanda aux membres du Cartel (sans Pitoëff parce qu’il était Russe et remplacé par Copeau), de « moderniser », par leurs mises en scène, la Comédie-Française.
Comité de lecture de la Comédie-Française, de gauche à droite : Pierre Bertin, Pierre Dux, André Brunot, Marie Ventura,
Jean Yvonnel, Dessones, Edouard Bourdet, Jacques Copeau, Gaston Baty,Fernand Ledoux (Collections ART)
Le décès de Georges Pitoëff, en septembre 1939, et le début de la Seconde Guerre mondial signèrent la fin du Cartel.
Et c’est logiquement qu’à la libération, en 1944, Jacques Copeau pensa à Jouvet, Baty et Dullin pour fonder un syndicat des metteurs en scène.
Marie-Céline Nivière
Sources : « Histoire du théâtre », Bernard Salé (Editions Librairie Théâtrale).
« Histoire du théâtre dessinée », André Degaine (Edition Nizet).
« Dictionnaire encyclopédique du Théâtre », dirigé par Michel Corvin. (Edition Bordas, 1991).
« Encyclopédia universalis », article sur le Cartel écrit par Pierre-Aimé Touchard.