Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
Dans le cadre de son Action culturelle,
la SACD soutient la création de cet ouvrage
Un épisode malheureux dans la vie et la carrière de Jacques Copeau
Juin 1940 : la débâcle, puis la défaite.
Les Allemands ont envahi la France, l’armistice est signé.
La France est coupée en deux : une Zone Libre, dirigée par le régime de Vichy et le Maréchal Pétain ; et un territoire, dont Paris, situé au nord de la Loire et qui est sous l’administration directe de l’Armée allemande.
C’est d’ailleurs à ma connaissance le seul moment de l’Histoire où il y aura officiellement une ambassade de France à Paris.
Août 1940 :
Les autorités allemandes (la Propaganda Staffel), dans un souci de normalisation, proposent à Jacques Copeau de prendre provisoirement la direction de la Comédie-Française avec le titre d’administrateur par intérim, spécifiant bien qu’un administrateur « définitif » serait nommé en janvier 1941.
Jacques Copeau accepte.
Le comité clandestin des Ecrivains, dont faisait partie André Gide et André Malraux, avait pourtant bien recommandé de n’accepter aucune charge émanant directement de l’armée allemande, afin de ne donner aucune caution à la prétendue normalisation…
Mais, bon, ce n’est pas le plus grave.
Le plus grave, c’est que Copeau, nouvel administrateur, va inaugurer son mandat en expulsant les comédiens juifs de la Comédie-Française, le 31 août 1940.
Et, parmi ceux-ci, Robert Manuel, de son vrai nom Robert Bloch. Il faut citer parmi les victimes de cette épuration : Véra Korène, Béatrice Bretty, Jean Yonnel, René Alexandre…
Un article du journal antisémite « Le Pilori » avait fait monter la pression :
« Ce n’est plus le Français, c‘est la Palestine ! »
Copeau se sera toujours défendu de cette décision en arguant qu’il n’avait fait « que se séparer des Juifs trop voyants » !
Ce qui pose la question de savoir ce qu’est un juif trop voyant ?
Un Israélite extralucide ?
Dans ses carnets, Copeau ira plus loin. Il raconte comment il a convoqué dans son bureau une jeune comédienne qui devait jouer Camille dans « On ne badine pas avec l’amour ». Il note, assez candidement, que, comme elle a pu lui présenter un certificat de baptême, il l’a renvoyée en salle de répétitions.
Copeau note aussi dans ses Carnets, à propos Marie Ventura:
« Madame Ventura m’a montré notamment un papier qui m’a semblé être un certificat de mariage de son père et de sa mère célébré à l’église orthodoxe, ce qui dans son esprit indique que ses parents n’étaient pas juifs. Là-dessus, je l’ai fait rétablir dans la distribution de « L’Impromptu de Versailles ».
Cet épisode restera toujours comme une tache dans la vie de Jacques Copeau, par ailleurs grandement et justement béatifié.
Le plus troublant est qu’aucune loi n’imposait cette exclusion. Les lois dites « antijuives » n’entreront en vigueur qu’en 1942 et nous ne sommes qu’en 1940.
Alors pourquoi ?
Demeurera toujours le soupçon de complaire aux autorités en vigueur afin d’assurer une nomination définitive.
On ne le saura jamais.
Toujours est-il que bien mal acquis etc. Copeau ne sera pas renommé en 1941.
Serge Added, dans son remarquable ouvrage « Le Théâtre sous les Années Vichy » (Editions Ramsay) va plus loin :
Il rapproche le retour aux vertus de la ruralité, prônée chez les Copiaus, des thèses officielles pétainistes, Travail, Famille, Patrie…
Cette porosité au fascisme éclate de manière évidente lorsque, le 7 octobre 1940, il déclare sur la scène de la Comédie-Française, face à un auditoire très jeune :
« Vous serez plus heureux que nous… parce que, débarrassés, je l’espère et vous le souhaite, d’idéologies débilitantes, rendues lâchetés par le malheur, vous aurez devant vous la plus grande et la plus belle des tâches : celle de reconstruire votre pays abattu. »
Je sais, il est facile de condamner après coup. Qu’aurions nous fait dans les mêmes conditions ?
Faut-il se référer une fois de plus à Jean-Paul Sartre :
« Tout ce que nous cherchions à cette époque, c’était survivre…. Qu’en était-il de notre liberté ?…. Nous étions comme ces pots de fleurs qu’on sort au printemps sur le balcon, et qu’on rentre en hiver dès qu’il fait froid… ».
Il n’empêche que dans le même temps d’autres ont été fusillés, d’autres comme Paul Eluard écrivaient « Liberté ».
Jean-François Prévand