Le grand Livre
240 pages • Dernière publication le 27/03/2024
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André Barsacq, le 5ème Mousquetaire
Décorateur, scénographe, auteur, traducteur, animateur et directeur de théâtre, André Barsacq (1909-1973) transforme, durant des années, subtilement le métier.
Né en Crimée, ou travaillait son père, il quitte la Russie pour Paris, au décès de ce dernier. Après des études au lycée Henri-IV, il entre à l’Ecole nationale supérieure des arts déco, dans la section architecture. Il découvre à l’exposition universelle de 1925, la section russe du théâtre et les ballets de Serge Diaghilev. Grâce aux origines russes de sa mère, il se lie d’amitié avec le peintre Léon Bakst. Ces influences sont marquantes pour sa carrière artistique. La même année, il assiste à l’Atelier, à une représentation d’« Antigone » de Sophocle, adaptée par Jean Cocteau et mise en scène par Charles Dullin. Il décide alors de se consacrer au théâtre.
« Ce fut le coup de foudre. Je me jurais qu’un jour moi aussi je passerai de l’autre côté de la rampe pour participer à la réalisation de ce monde étrange et merveilleux qui m’était soudainement révélé. »
Il envoie à Dullin des esquisses que lui a inspirées le spectacle « Le jeu de l’amour et de la mort » de Romain Rolland. Charles Dullin le convoque immédiatement et décide de l’instruire, de le guider… Après sa rupture avec son décorateur Michel Duran, Dullin demande au jeune garçon de peindre les décors conçus par Artaud pour « La vie est un songe ». Puis en 1927, Dullin lui offre sa chance et lui demande de faire les décors et les costumes de « Volpone ». A tout juste 18 ans, Barsacq devient décorateur de théâtre.
« La décoration théâtrale ne doit être que l’expression plastique des éléments qui aident l’auteur à suggérer la réalité émotionnelle ».
(Programme de Volpone ©Archives ART)
En 1930, à la demande de Michel Saint-Denis, neveu de Copeau et ancien Copiau, il renouvelle le dispositif scénique inventé par Jouvet du Vieux-Colombier. En 1932, il travaille auprès de Georges Pitoëff sur « L’hermine ».
L’année suivante, sa rencontre avec Copeau marque un tournant important. Car si Barsacq a commencé à se familiariser à l’art de la mise en scène auprès de Dullin, il parfait son apprentissage avec Copeau qui est chargé de réaliser « le mai Florentin ».
« A ses côtés, à 20 ans de distance, je découvrais ce qu’avait fait la valeur de son initiative, de son enseignement et de son exemple, je découvrais la sincérité dans l’effort, le goût de la franchise et la probité dans l’expression théâtrale mise en service de la poésie ».
(Jacques Copeau et André Barsacq)
Il assiste Copeau, pour « Le Mystère de Santa Uliva » en 1933 et « L’évocation de Savonarole » en 1935. Ces spectacles sont joués en plein air, dans un vaste cloître (le plateau est au centre et le public disposé autour dans les arcades). Ces spectacles sont pour Giorgio Strehler le déclencheur de sa vocation. Si Dullin lui a transmis son enthousiasme, Copeau lui communique sa rigueur. Comme son mentor, Barsacq voue une « soumission heureusement consentie aux idées maîtresses de l’œuvre abordée ».
C’est, en 1936, avec le théâtre des Quatre-Saisons, qu’il joint enfin à son métier de décorateur la fonction de metteur en scène. Il joue alors un rôle déterminant dans l’avènement de la scénographie, créant une symbiose entre le texte et le contexte.
« Depuis assez longtemps, Barsacq m’avait avoué que la décoration théâtrale ne lui semblait pas suffire à son activité imaginative et qu’il désirait s’occuper de la mise en scène ». (Charles Dullin)
Avec ses camarades du théâtre des Quatre-Saisons, Jean Dasté (gendre de Copeau), Maurice Jacquemont, Pierre Barbier, il porte une des premières réflexions sur un théâtre populaire et décentralisé ou itinérant. Désormais sa carrière se confond avec celle de la troupe. Il en assume les responsabilités de direction, de mise en scène et de décoration. Il signe en 1937 la mise en scène du « Roi cerf » de Gozzi, à la Comédie des Champs-Elysées. Le succès fut immédiat et surtout immense.
« Vous avez prouvé par votre spectacle du « Roi cerf », que vous êtes désigné pour diriger une troupe et pour faire revivre la poésie au théâtre ». (Louis Jouvet dans une lettre à Barsacq après avoir assisté à une représentation de la pièce)
La troupe est invitée à New York, où elle reste de 1937 à 1938 et donne sept spectacles, dont « Knock » de Jules Romains, « Jean de la lune » de Marcel Achard, « Y’avait un prisonnier » de Jean Anouilh. Après l’Amérique du Nord, c’est l’Amérique du Sud. La troupe rentre à Paris en 1938 et monte au théâtre des Arts, « Le bal des voleurs » de Jean Anouilh.
La carrière de Barsacq est étroitement liée à celle de Anouilh. Barsacq met en scène huit de ses pièces : « Le bal des voleurs », « Le rendez-vous de Senlis », « Eurydice », « Antigone », « Roméo et Jeannette », « L’invitation au château », « Colombe » et « Médée ». Sa mise en scène d’« Antigone », en 1944, est un événement, de par la situation de l’époque, où le refus d’Antigone est comparé à celui de la résistance, mais aussi par sa scénographie (costumes contemporains, les hommes en habit, les femmes en robes longues et les gardes portaient des gabardines et des feutres, qui faisaient songer à la Gestapo).
Dessin du décor d'Antigone
En 1940, tout change pour lui, lorsque Charles Dullin lui cède son bail de l’Atelier. L’essentiel de son œuvre se réalise sur la scène de ce théâtre, qu’il dirige jusqu’à sa disparition. En plus de trente ans, il monte plus de 80 spectacles dont 40 créations, demeurant fidèle à ses trois sources d’aspiration : le théâtre classique, les nouveaux auteurs et le théâtre russe. En plus de Jean Anouilh, Barsacq met en scène des pièces de Marcel Aymé, Félicien Marceau, guide des jeunes auteurs comme Jean-Claude Carrière (« L’aide-mémoire »), Rémo Forlani, René de Obaldia, Françoise Sagan. C’est lui qui crée en France les œuvres de Tennessee Williams… C’est grâce à lui, autant qu’à Dullin, que l’Atelier est devenu une maison de référence.
(Logo de l'Atelier dessiné par André Barsacq)
André Barsacq est un actif défenseur de la cause du théâtre. Il a toujours lutté pour que l’Etat reconnaisse la valeur des efforts fournis par le secteur privé du théâtre : découverte et consécration de talent (auteur, metteur en scène, comédien, décorateur). En 1958, il fonde le « Nouveau Cartel » avec Mercure, Barrault, Rouleau. Dès 1962, il travaille, avec Marguerite Jamois, Claude Sainval, Georges Vitaly, Jean Mercure sur la création d’un fonds de soutien pour les théâtres privés. Et lorsqu’en 1964, l’Assemblée nationale vote un projet d’allègement fiscal en faveur des théâtres privés, projet lié à la création d’un fonds d’aide, Barsacq se félicite, dans le Figaro, de cette avancée.
« C’est un petit pas en avant que nous accueillons avec satisfaction. Mais il faut aller plus loin […] Nous demandons à être alignés sur les épiciers. Quand au « fonds d’aide » le principe m’en paraît excellent, je pense qu’il devrait être géré par des gens de la profession. On devrait d’ailleurs arriver à constituer une caisse commune de soutien. »
En 1971, il devient président, du Centre Français du Théâtre, dont la mission est de gérer la mémoire du théâtre et de faciliter les échanges artistiques internationaux. C’est dans cette perspective que le Théâtre des Nations, longtemps dirigé par Jean-Louis Barrault a été créé et que Brecht et le Berliner Ensemble viennent pour la première fois à Paris. Il est également fondateur et président de l’association « Théâtre pour l’enfance et la jeunesse de Paris ».
Mais son plus grand combat fut la reconnaissance des droits de création pour les metteurs en scène. En 1944, il est auprès de Louis Jouvet, Gaston Baty, Charles Dullin et Jacques Copeau, pour fonder Syndicat des Metteurs en scène. En 1951, à la suite de Gaston Baty, il en devient le Président, puis Président d’honneur en 1962, pour redevenir président en 1969. Ce qu’il reste jusqu’à sa mort. Il signe en 1960 avec les pouvoirs publics la convention collective reconnaissant les droits de créateur des metteurs en scène et l’application matérielle de celle-ci. Il est également, le premier metteur en scène français à faire reconnaître ses droits d’auteurs par une production américaine.
(Extrait du rapport moral de l'assemblée générale du SNMS de 1959 ©Archives SNMS)
Lorsqu’il meurt en 1973, à l’âge de 64 ans. Jean-Jacques Gautier écrit dans le Figaro un très bel hommage qu’il termine ainsi : « Maître-artisan fanatique de son art […] il aura été l’un des tout derniers représentants d’une race qui disparaît : celle des vrais directeurs de théâtre entièrement responsables de l’activité de leur établissement ».
Marie-Céline Nivière
Sources : « Histoire du théâtre dessinée », André Degaine (Nizet)
« André Barsacq, cinquante ans de théâtre », catalogue d’exposition, Marie-France Christout et Noëlle Guibert (BNF)
« Dictionnaire amoureux du théâtre », Christophe Barbier (Plon)
« Le théâtre français du XXe siècle », ouvrage sous la direction de Robert Abirached (L'Avant-Scène).